Entretien avec Catherine-Emeline Robillard (par E.Breugghe Mai 2021)
Personne n'ignore plus aujourd'hui le contexte écologique et social problématique dans lequel nous évoluons. Ce contexte ne date évidemment pas d'hier. Le Club de Rome qui publiait en 1972 Les limites de la croissance évoquait les dangers que notre modèle de société faisait courir à notre environnement. Et Bernard Moitessier, lorsqu'il publia en 1980 sa lettre aux maires de France, s'en faisait, d'une certaine façon, l'écho. Par ailleurs, l'accès à l'alimentation n'est pas un acquis, y compris pour un certain nombre de bonovistes. C'est donc dans ce contexte environnemental et social que Communes à Croquer trouve en partie sa pertinence. J'ai rencontré Catherine-Emeline Robillard qui porte l'initiative.
Peux tu nous présenter Communes à croquer, pourquoi? comment? dans quel contexte?
Communes à croquer c'est ma contribution à l'idée simple et généreuse de Bernard Moitessier : planter des arbres fruitiers sur l'espace public, afin de se nourrir, de se rencontrer, de créer du lien, de partager. « Ces arbres fruitiers qui appartiendraient à nous tous (y compris aux oiseaux et aux abeilles) pourraient devenir, en grandissant, une œuvre généreuse et simple, qui aiderait à unir les hommes ».
Note: Vous trouverez la lettre de Bernard Moitessier aux maires de France sur le site communesacroquer.fr
Il disait qu'il fallait la participation de tous ou alors les arbres, même plantés, finiraient par être coupés. Lui-même avait envoyé un chèque à la commune de Lachelle, la première ayant répondu.
A ma façon, j'ai voulu donner les moyens à toutes les communes, quelque soit leur taille, de planter des arbres fruitiers si elles le souhaitaient. J'ai créé un site internet qui est une boîte à outils : méthodes, acteurs (institutionnels ou associatifs) pouvant accompagner les mairies, financements existants, exemples d'autres communes ; et je réponds aux mairies au cas par cas pour les orienter dans la construction de leurs projets de plantation.
Améliorer le cadre de vie, recréer du lien social et des espaces de sociabilité, lutter contre l'isolement et la précarité alimentaire…
........................................................................................................................Commune de Lachelle.
Des communes à croquer existent-elles déjà? Quelles sont ces communes?
L'initiative de Bernard Moitessier montre qu'en 1980, les questions environnementales, de biodiversité et d'accès à l'alimentation étaient déjà présentes, mais c'est encore plus vrai aujourd'hui, ce qui explique que l'intérêt des communes aient été au rendez-vous lors de cette réédition. A l'époque, une soixantaine de communes avaient répondu.
A l'origine, je visais avant tout les petites communes car elles n'ont pas les moyens de se spécialiser sur tous les sujets. Le site devait leur apporter un bon nombre d'éléments pour qu'elles puissent se lancer. Et c'est une action qui apporte beaucoup d'avantages : améliorer le cadre de vie, recréer du lien social et des espaces de sociabilité, lutter contre l'isolement et la précarité alimentaire… et ce même avec de faibles moyens financiers.
De nombreux territoires recherchent à sécuriser leur accès à l'alimentation en développant des PAT.
Mais finalement, l'initiative intéresse des communes de toutes tailles. D'autant que, comme on en parlait à l'instant, toutes ces réflexions sont très actuelles. De nombreux territoires recherchent à sécuriser leur accès à l'alimentation en développant des PAT (plans alimentaires territoriaux) afin d'assurer une production alimentaire pour leurs territoires. L'apparition du Covid a encore alimenté ces réflexions. Rien qu'autour de nous, Auray, Vannes et Lorient en développent, et j'en oublie !
De grandes villes, comme Lyon ou Bordeaux, se sont emparées de ces problématiques environnementales et de la sécurité alimentaire de leur territoire. Elles plantent des arbres fruitiers et développent des plans de pollinisation. Quant à la ville de Montpellier, elle est depuis longtemps précurseuse dans la recherche et l'expérimentation agricole en vue du réchauffement climatique.
On retrouve l'ensemble des communes à croquer sur le site internet.
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Peux-tu nous dire quelques mots des expériences de ces Communes à croquer?
On note généralement deux phases dans les expériences de plantation d'arbres fruitiers : la phase de plantation qui mobilise facilement la population car ce sont des moments festifs, intenses mais courts en temps ; et la phase d'entretien qui nécessite d'être abordée avec plus de circonspection. En effet, les communes n'ont aucun mal à mobiliser les villageois pour la plantation des arbres. C'est souvent un moment de grande convivialité et de fête. La difficulté principale se situe plutôt dans la gestion sur le long terme des arbres : l'entretien et la récolte. En général, cette phase de gestion fonctionne mieux lorsqu'il y a une association locale ou à tout le moins un groupe de personnes dédié. Ils seront moteurs et mobiliseront un plus grand nombre de personnes lors des moments-clés.
La question du travail avec le public est centrale (...)Des associations spécialisées dans la participation aident à la constitution de groupes locaux.
On le voit, la question du travail avec le public est centrale et c'est pourquoi le site internet liste des associations spécialisées dans la participation tels que les Planteurs Volontaires qui aident à la constitution de groupes locaux. Mais dans les petites communes, où les habitants se connaissent et se croisent régulièrement dans les rues du village, c'est évidemment plus simple. Au Bono, nous avons déjà la chance de bénéficier d'une belle dynamique !
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Tu as abordé l'agriculture, tu me parlais du lien qui était à reconstruire entre la population et ses paysans. Tu me disais que la reconstruction de ce lien passait entre autre par la réintroduction du comestible sur l'espace public comme le propose Communes à croquer. Peux-tu nous en dire un peu plus?
En fait, il s'agit de la remarque faite par le maire de Lanvallay lors de nos échanges et que j'ai trouvée particulièrement intéressante. La mairie souhaite aller vers plus d'autonomie alimentaire en produisant une partie de la nourriture servie dans les EHPAD et les écoles, mais le maire insistait sur le fait que c'est aussi une façon de reconnecter le monde agricole et la population et de renouer le dialogue.
La réintroduction du comestible dans l'espace public sert alors de vitrine permettant de prendre conscience du lien entre la terre et notre assiette. Car depuis que ce que nous mangeons ne vient plus du champ d'à côté, et que ce qu'il produit est envoyé bien loin de chez nous, ce lien a été rompu. Raccourcir les circuits alimentaires permet une prise de conscience qui nous incite à prendre soin de la terre et de nos agriculteurs.
Raccourcir les circuits alimentaires permet une prise de conscience qui nous incite à prendre soin de la terre et de nos agriculteurs
Il faut savoir que dans dix ans, la moitié des agriculteurs sera à la retraite. Sans compter que plus de 600 agriculteurs se suicident chaque année. Or étant données les conditions de travail de cette profession (que les suicides illustrent bien), ils ne sont pas remplacés. Cela va devenir un énorme problème d'où l'importance de redonner au paysan une place essentielle et valorisée dans le tissu économique et social des territoires et de reconstruire un partenariat population paysan qui suscite les vocations.
Il a fallu, pour ma part, une vraie rééducation pour pouvoir cueillir et consommer des plantes nourricières, incapable que j'étais de reconnaître les plantes comestibles de base. Qu'en est-il de ce problème dans les espaces comestibles partagés?
Ces espaces sont des espaces de culture dans tous les sens du terme ! D'ailleurs les communes ne s'y trompent pas et elles mélangent souvent les genres. En plantant une forêt de fruits rouges dans un cour d'école, on agit positivement sur l'environnement, on crée un bel espace où les enfants se sentent bien, on fournit le goûter, et on enseigne aux enfants beaucoup de choses sur la nature, la croissance des plantes etc. L'arbre fruitier est incontestablement l'investissement le plus rentable !
Souvent, on ne sait plus reconnaître les plantes nourricières lorsqu'elles sont disponibles sur les espaces partagés.
Souvent, on ne sait plus reconnaître les plantes nourricières lorsqu'elles sont disponibles sur les espaces partagés. De ce fait, des panneaux éducatifs sur les thématiques de l'environnement et de l'alimentation sont nécessaires tout du moins dans un premier temps. De simples panneaux pour reconnaître les plantes, connaître le moment de leurs récoltes suffisent bien souvent à répondre à cette problématique.
Ces panneaux sont évidemment aussi très intéressants pour les écoles qui peuvent s'en servir de supports pédagogiques et ainsi permettre aux enfants de développer très tôt des connaissances de base au sujet de l'alimentation mais aussi des processus de pollinisation, de la macro et de la micro faune, etc. Actuellement, sur le modèle des aires marines éducatives, des aires terrestres éducatives se développent qui marient éducation à l'environnement et protection. Les Parcs naturels régionaux eux aussi combinent ces deux fonctions.
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Parlons un peu de l'aspect pratique: comment se passent les récoltes sur les arbres fruitiers?
Ce qu'il faut avoir à l'esprit, c'est qu'il n'y a pas une unique manière de faire. Chaque commune, chaque population est différente et développe ses propres stratégies, tout en s'inspirant de celles des autres. C'est la vocation des retours d'expériences relayés sur le site : montrer la diversité des options.
Certaines communes ont choisi de planter des arbres fruitiers dans des parcs publics alors que d'autres ont choisi de planter les arbres sur l'espace public, à chaque coin de rue. Certaines communes vont s'appuyer sur une association pour l'organisation de la récolte. Et d'autres s'appuieront sur les bonnes volontés du moment.
Quant à la récolte, elle peut se faire au cours d'une journée dédiée, généralement festive, ou alors au coup par coup, selon les disponibilités de chacun. Chaque commune est différente et trouve la formule qui lui convient le mieux.
La récolte peut se faire au cours d'une journée dédiée, généralement festive, ou alors au coup par coup, selon les disponibilités de chacun.
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N'y a-t-il pas un risque que tous les fruits ne soient pas récoltés, qu'il y ait des pertes, des fruits qui pourrissent, des arbres délaissés? Que fait-on des récoltes qui peuvent parfois s'avérer conséquentes?
C'est en effet un risque et la communication ainsi que l'organisation en amont sont clés pour éviter cela. La bonne nouvelle, c'est que l'on voit dans les communes une volonté de bien ficeler leurs projets pour éviter de répéter les mêmes erreurs que d'autres ont pu commettre dans le passé.
Sur la demande de certaines communes, avec une vingtaine de participants (communes et autres collectivités territoriales, associations et collectifs spécialisés dans la plantation ou dans l'animation de communautés) nous avons organisé une visioconférence pour faciliter le partage d'expériences. Le résumé est disponible sur le site de Communes à croquer.
Ce premier échange sera suivi d'un autre cette année et nous essaierons de maintenir le dialogue jusqu'à ce qu'un réseau dédié soit en mesure de se constituer. Il faut partager nos réussites et nos échecs, c'est essentiel. On y gagne un temps et une énergie considérable.
La communication ainsi que l'organisation des récoltes en amont sont clés (...) Il faut partager nos réussites et nos échecs, c'est essentiel.
La récolte peut être, par exemple, partagée entre les habitants, qui repartent avec quelques caisses de pommes pour l'hiver, ou bien, comme à Couesnon Marches de Bretagne, la collectivité organise la collecte et la transformation des pommes pour produire jus et pommé dont la vente permettra de financer des projets de la communauté de communes.
Quand on sait à quel point les moyens des petites mairies ont été réduits, nous ne pouvons que les encourager à être innovantes dans la recherche de solutions. Collecte individuelle ou collective, fabrication de jus, financement de projets... beaucoup de choses sont possibles. Encore une fois, il n'y a pas de règles.
Que pourrais-tu répondre à cette crainte fréquemment formulée, qu'en laissant la gestion d'une partie des espaces publics aux citoyens, ces espaces ne deviennent une espèce de "foutoir"?
Si une telle crainte devait être un frein, il faut savoir qu'il existe des permis de végétaliser que l'on peut accorder aux citoyens et qui s'accompagnent de quelques règles de base sur ce que l'on peut planter ou pas, sur les espèces à éviter ou celles à favoriser. Mais l'expérience montre que cela n'est pas nécessaire.
Généralement, les mairies commentent que les gens n'osent pas. On a perdu l'habitude du comestible sur le domaine public et la plupart des gens pensent qu'ils n'ont pas le droit, que cela donne une mauvaise image d'eux, que d'autres en auront plus besoin qu'eux, ou que si c'est dans le domaine public alors c'est que ce n'est pas comestible.
Il est important de bien communiquer lorsqu'on plante afin que les fruits ne murissent pas en vain : des panneaux « servez-vous », la participation des habitants lors de la plantation, ou encore des associations en charge des espaces qui vont faire vivre le lieu.
A Clisson, en Loire-Atlantique, l'association le Fruitball Club mettait des cagettes sur les pas de portes pour que les habitants aillent cueillir les fruits !
Il est important de bien communiquer lorsqu'on plante afin que les fruits ne murissent pas en vain: des panneaux... la participation des habitants lors de la plantation, ou encore des associations...vont faire vivre le lieu.
Est-il envisageable de monter un partenariat entre les citoyens et les employés communaux qui travaillent aux espaces verts ?
Encore une fois, tout est envisageable. La mutualisation des moyens et des énergies avec les agents communaux, la récupération des déchets verts municipaux et leur valorisation... Chaque commune trouve ses solutions. Ce partenariat est une solution parmi d'autres, et le site de Communes à croquer met en avant les différentes façons de faire pour en inspirer d'autres. Par exemple, certaines communes en Normandie cueillent les fruits et en font du jus distribué pendant les fêtes de village, et d'autres confient à des associations le soin d'entretenir les espaces plantés.
La mutualisation des moyens et des énergies avec les agents communaux, la récupération des déchets verts municipaux et leur valorisation... Chaque commune trouve ses solutions.
Existe-il un label Communes à Croquer, comme il existe les villes fleuries ou les plus beaux villages de France?
C'était en effet l'idée lors de la création du logo, avec une visée nettement plus durable que les villes fleuries ! Pour le moment, le label est avant tout déclaratif, ce qui correspond à la vision de Bernard Moitessier : pas un ensemble de critères rébarbatifs mais un même élan, une même envie. Autour d'Angoulême, une association accompagne les communes voulant aller dans ce sens, elle les conseille, et leur décerne un panneau à mettre en entrée de village faisant état de leur statut de « Commune à croquer ».
Le label est avant tout déclaratif, ce qui correspond à la vision de Bernard Moitessier (...) un même élan, une même envie.
Ce sont les tous premiers panneaux, nés de la volonté d'une association locale ; on pourrait imaginer la même chose en Bretagne, d'autant que la région n'est pas en reste, notamment grâce au réseau BRUDED qui accompagne les élus sur toutes les questions de développement durable.
Et Le Bono ? Est-ce une commune à croquer ?
J'ai cherché à prendre rendez-vous avec la mairie mais pour l'instant je n'ai pas eu de retour. Nous avons quelques arbres fruitiers plantés en mémoire de Bernard Moitessier, notamment à l'occasion de la réédition de la Longue Route il y a quelques années. Cela ne fait pas encore du Bono une commune à croquer, mais ce serait un beau symbole que la commune où il repose applique sa belle idée ! Bientôt j'espère !
Pour en découvrir un peu plus, vous pouvez vous rendre sur le site de Communes à Croquer:
communesacroquer.fr
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